lundi 9 février 2009

L'hippopotame ratatiné et le pique-boeuf agonisant.

Bruce Springsteen et John Mellencamp

Il faut bien l'avouer; j'ai toujours aimé le rock ricain pur et dur. Les tubes surproduits, les refrains enlevés, les riffs glorieux, les voix surmixées, les solis léchés, les choeurs féminins qui font ouh ouh. Tom Petty qui fait danser nos pères, Hold Steady qui fait que c'est toujours notre première cuite et notre première baise ratée, Rod Stewart qui reprend les plus mainstream des rock anthems comme si les siens ne suffisaient pas... Les hymnes ont toujours du bon, avec ou sans le recul européen de bon aloi, ils finissent toujours par se découper un petit quartier d'éternité, mettant du baume au coeur à Philippe Maneuvre (même s'il est obligé de dire que les Plasticines c'est mieux, chacun sa croix) comme au pequenot du fin fond du Texas.
C'est dit.
Mais quand même, il y a des limites.
Des limites à respecter. Même quand on est le demi-dieu vivant du rock de stade, l'Alexandre le Grand des ondes radios, le copyright de la musique populaire américaine, l'Elton John de Barack Obama, même quand on s'appelle Bruce Springsteen. Surtout quand on s'appelle Bruce Springsteen. Nom d'un chien quand on est le Boss on ne commence pas son 24ème album par un pathétique emprunt à Kiss. Par pitié. Il est des choses qu'on a le droit de faire quand on est des punks et qu'on s'appelle Arton Wall mais qu'hélas il n'est plus permis de faire quand on a accouché de Born In The USA.

Bref, reste ce "Working On A Dream" dont on ne sait trop que faire. Pas un disque vraiment raté. A vrai dire dans la discographie récente de Springsteen même le peu convaincant The Rising offrait son chapelet de bons morceaux (le tubesque Further Up On The Road, un Nothing Man dans la veine de Nebraska, l'augural Counting On A Miracle) tandis que les Seeger Sessions étaient un petit chef d'oeuvre à part entière et que l'avant-dernier Magic était un très bon album du Boss avec l'E-Street Band, voire notre newsletter no.8. Mais ce nouvel album arrive trop tôt pour être artistiquement crédible, est bourré de platitudes bien-pensantes, d'auto-parodies et de fautes de goût, parfois les trois à la fois. C'est dur. Et on ne parle pas de la pochette. Et en plus la production est tellement léchée que les rares coups de maître du maître disparaissent sous le goût des exhausteurs de saveur périmés et surfaits du pourtant très compétent O'Brien.

Dommage pour Bruce. Les fans l'achèteront quand même les yeux fermés et c'est pas moi qui leur jetterai la pierre. Car pour un fan 2-3 bons morceaux suffisent à sauver un album. Et l'honneur est sauf ici. Grâce au bluesy, stonien et crasseux Good Eye qui ne va nul part et ne veux rien dire. A l'évident Working On A Dream. Au sympathique What Love Can Do. Et à l'efficace Lucky Day, qui, en matière de rock anthem, aurait suffi. Sans être inoubliable, il remplit son rôle de tube vendeur, mais par là même souligne l'inutilité du reste de l'album. Les deux morceaux bonus, plus folk et minimalistes, rappellent d'abord qu'artistiquement c'est ce que Springsteen fait de mieux, qu'il a vraiment une voix, une guitare et un discours mais aussi que si le répertoire du songwriting de bon goût peut s'étendre ad eternam ce n'est pas vraiment le cas de celui du rock épique.

Du coup si le Boss voulait par cet album prématuré combler le vide créé par le retrait en masse de ses fans républicains m'est avis que c'est raté. Cela dit les comments de ceux-ci sur son site valent vraiment le détour. Il ferait mieux de rééditer Nebraska et Ghost Of Tom Joad en vinyl et de viser les jeunes générations qui se pâment devant Devendra Banhart, faute de mieux. Free advice, Boss.


Ceux d'entre vous qui m'ont suivi jusque là, bravo, et qui justement préfèrent ces deux albums risquent fortement de préférer le nouvel album d'un autre papy du rock ricain canonique. J'ai nommé John "Cougar" Mellencamp et son splendide "Life Death Love And Freedom"

Bon, je vais pas vous faire l'historique de John Mellencamp, sorte de Springsteen raté qui a toujours essayé très dur mais n'y est jamais arrivé vraiment. Et sur qui l'ignoble industrie du disque à fait peser le poid de toutes ses crasses les plus ignobles, comme lui imposer un nom d'artiste ignoble, le signer sur une major ignoble pour le dégager d'un manière ignoble, et j'en passe et des glorieuses. Il fut la risée de la presse lorsque ces albums étaient dans les charts, et dédaigné du public quand la critique reconnut enfin ses aptitudes d'auteur-compositeur-chanteur américain pur sucre. Il faut dire aussi que Mellencamp est un peu un loser, d'abord avec cette volonté affichée de faire exploser le billboard, de prendre la place des grand alors qu'il débarquait de nulle part, puis avec cette prise de position anti-branding brandie à côté de toutes les causes démagos qui font bien dans le press-book et dans les petits papiers de Bono, pour finalement être balayée par un morceau de synchro pour une pub télé.

Bref tout ça fit que le petit John s'il atteint une certaine audience, et un statut potable sur l'Olympe des Dieux du Stade, dans son pays ne traversa jamais complètement l'Atlantique pour convaincre des Européens ou trop malins ou trop pointilleux sur l'authenticité des rockstars proposées pour l'accueillir les bras ouverts. Ainsi, pour ma part, j'étais passée à côté et, en écoutant ses vieux tubes, même si j'aime bien ça, je me dis pas que j'ai raté un truc vraiment indispensable. Alors que si je découvrais Springsteen maintenant je ne serais sans doute déjà plus là pour découvrir Springsteen maintenant, ahem... Bref. Première différence entre l'hippopotame et le pique-boeuf. 2ème : la classe. 3ème : la souffrance. 4ème : l'entourage. Et c'est ces deux dernières qui vont nous intéresser ici. Car c'est la souffrance et l'entourage du brave John qui font de ce disque, au titre par vraiment permis non plus, une petite merveille à ne pas snober.

La souffrance d'abord. La souffrance presque standard des classes laborieuses, la maladie, la rébellion adolescente et l'hyppopotamesque and for my 19 birthday i got a union card and a wedding coat vécu deux ans plus tôt. La souffrance non moins standard de l'artiste dénigré, du jeune homme floué, l'amertume, les regrets. Le temps qui passe. La honte. Les échecs qui entachent ce qui aurait du être une carrière. La vieillesse. Bon, finalement je vous ai quand même fait un semblant de biographie du bonhomme. Mais c'est vraiment ça qui explique la qualité de cet album. Ces textes désenchantés. Cette fureur fatiguée. Ces sombres accords mineurs (sans blague). Bref, ce grand disque de songwriting touchant.

L'entourage ensuite. Qui se résume en un nom T-Bone Burnett. Oui, lui. Celui dont on vous parlait déjà en même temps que de Magic, no. 8 encore, celui qui a fait ça Et qui donc a produit ce somptueux Vie Mort Amour et Liberté. Le vieux aux 28 oreilles et aux 240 doigts, le génie du sombre, du vrai, du triste. Son touché fait fondre tous le pathos de Mellencamp, rend à ses morceaux leur profondeur, en y ajoutant une ligne de slide par-ci, des backing à la Harris (Emmylou pas Deborah) par-là, une rythmique bluesy crasseuse quand nécessaire, un poil de Hammond pour le brillant ou alors rien de plus qu'une guitare desséchée quand la substantifique moelle s'impose d'elle-même, notamment par son phrasé tout springsteenien, tiens...

Bref. Je vous recommande cet album. Chaudement. J'insiste.

Et maintenant que j'ai battu Nangijala au concours de longueur de post, je vais aller me coucher en adressant ma prière au Bon Dieu du Rock.
"Merci Seigneur pour tous ces vieux qui font des bons disques.
S'il te plaît fait vivre T-Bone Burnett trèèèès longtemps.
Comme ça, quand le Boss sera vraiment vieux, il pourra le sauver de lui-même.
Oui comme Rick Rubin l'a fait pour Johnny Cash. Oui.
Merci Seigneur.
Et laisse Brendan O'Brien s'occuper de Mastodon plutôt.
Amen"
e-

Aucun commentaire: